Sunday, July 20, 2014

A Duékoué, l'impunité des pro-Ouattara

Les fidèles du président ivoirien n'ont jamais été jugés pour leurs crimes, commis lors de la crise qui a secoué le pays entre 2011 et 2012.
Qu'est devenu le corps d'Amédé ?
Il y a deux ans, il a été envoyé à Abidjan «pour autopsie». Depuis, son frère Julien n'a plus jamais eu aucune nouvelle. «C'est long, deux ans, pour une autopsie», note d'un air maussade cet homme trapu et musclé, assis sous un manguier, à 500 km à l'ouest de la capitale économique ivoirienne. D'un geste, il désigne les bâtisses en briques grises qui l'entourent, recouvertes de nouveaux toits en tôle : «Nos maisons ont été décoiffées ! Ici, pendant la crise [2011-2012, ndlr], tout a été détruit.» Amédé, le frère de Julien, est l'une des victimes des derniers soubresauts de cette crise sanglante.
Le 20 juillet 2012, lors de l'attaque d'un camp de déplacés, ce père de famille de 39 ans a été emmené par des hommes en armes, puis fusillé avant d'être jeté dans un puits abandonné. Lequel ne sera découvert, par hasard, que deux mois plus tard. On y retrouvera cinq autres cadavres, tous envoyés «pour autopsie» à Abidjan.
Après une période particulièrement sanglante, la Côte-d'Ivoire est désormais en paix. En accueillant pour la première fois, ce jeudi, François Hollande, le président Alassane Ouattara pourra légitimement se targuer d'avoir remis le pays au travail et rétabli la sécurité après dix ans de guerre civile.
«Verrou». Reste un sujet sensible : l'impunité dont continuent à bénéficier les forces fidèles à Ouattara qui ont conquis le pouvoir les armes à la main en 2011. Jusqu'à présent, seuls les partisans de son rival, l'ex-président Laurent Gbagbo, ont été mis en cause pour les violences commises en 2011 : trois ans après la crise, 700 sont toujours emprisonnés sans jugement, et parfois même sans connaître les charges qui pèsent contre eux. Un soupçon de justice à deux vitesses qui agace visiblement Abidjan. Lundi, un porte-parole du parti du président ivoirien a ainsi tenu à souligner que le chef de l'Etat français venait pour «apporter son soutien à l'oeuvre de reconstruction et de réconciliation entreprise avec succès par le président Alassane Ouattara» et non pour «se préoccuper du sort de personnes qui ont commis des crimes odieux pendant notre crise postélectorale» ou pour «plaider la cause des bourreaux d'hier». Voilà François Hollande prévenu. Le président français apporte pourtant dans ses bagages une aide de 25 millions d'euros à la reconstruction d'une justice qui semble parfois en panne ou partiale
Sur ce terrain délicat, une petite ville est devenue le symbole des exactions restées impunies en Côte-d'Ivoire : Duékoué, bourgade sans charme de l'ouest ivoirien, fut le théâtre de certains des épisodes les plus sanglants de la crise postélectorale. Sur les 3 000 morts recensés pendant cette période, un tiers des victimes ont été répertoriées dans cette région, où vit aussi Julien. «Duékoué a été le dernier verrou dans la conquête de l'ouest du pays par les forces alliées à Ouattara. C'était un fief pro-Gbagbo, et les combats ont été très violents», rappelle le père Cyprien, qui se trouvait aux premières loges quand la ville a été prise, le 28 mars 2011. «Dès l'aube, la foule a envahi la mission catholique, ça tirait de partout !» se souvient-il.
Les jours suivants, on dénombrera près d'un millier de morts, dont un certain nombre froidement exécutés. La peur sera telle, que les habitants refuseront longtemps de quitter l'enceinte de la mission catholique. Une partie d'entre eux sera finalement relogée dans un camp de déplacés à Nahibly, une localité voisine. Jusqu'à ce que ce site, soupçonné d'abriter des miliciens pro-Gbagbo, soit lui-même attaqué le 20 juillet 2012. Combien de morts ce jour-là ? Personne ne sait, tant les bilans sont manipulés. Les chiffres divergent selon qu'on s'adresse à des partisans de l'actuel pouvoir ou de l'ancien régime à Duékoué. Reste les six hommes exécutés et retrouvés dans le puits. Autour de la ville, il en existe neuf autres, également soupçonnés de contenir des corps. Ils sont gardés par des Casques bleus pakistanais, qui offrent un verre de jus de fruits aux curieux avant de les inviter fermement à faire demi-tour. Ce «circulez, il n'y a rien à voir» est un peu la règle à Duékoué, où le calme est revenu, sous un silence de plomb. «De toute façon, tout le monde connaît les responsables, Duékoué n'est qu'un gros village», rappelle le père Cyprien.
Sapins de Noël. Parmi ceux qui sont soupçonnés d'avoir orchestré les exécutions sommaires près des puits, il y a l'ancien commandant militaire sur place : le lieutenant Koné Daouda (alias Konda) a été renvoyé, certes contre son gré, à Abidjan. Mais apparemment sans avoir été inquiété. Son remplaçant actuel, le lieutenant Ben Bamba, un géant débonnaire dont le portable vibre sans cesse au son de «la joie vient le matin», affirme avoir discipliné ses 480 hommes. Mais il n'est pas le seul à prétendre contrôler la sécurité de la ville.
Souvent accusés d'avoir participé aux tueries de mars 2011, comme de juillet 2012, les «dozos» jouent toujours un rôle trouble dans la région. Ces chasseurs traditionnels, aux pouvoirs mystiques redoutés, font partie du folklore ivoirien. Mais pas seulement. A l'origine implantés dans le nord du pays, ils ont suscité des centaines de vocations dans cette région Ouest depuis longtemps tourmentée. En 2011, ils ont souvent aidé les forces de Ouattara à prendre le pouvoir. On les retrouve dans leur QG, un immeuble en construction, dans un quartier misérable de Duékoué : une assemblée d'hommes souriants, plus tout jeunes, souvent affublés d'étranges costumes en toile de jute, leurs «treillis», disent-ils, truffés d'amulettes comme des sapins de Noël. Malgré la bonhomie affichée, certains les accusent d'être un clan des Siciliens version gri-gri. «C'est une mafia. Ils monnayent leur protection, rackettent les gens et font régner leur loi», chuchote un commerçant, sous couvert d'anonymat. A plusieurs reprises, le gouvernement a annoncé son intention de les désarmer. «Ça se dit. Mais ça ne se fait pas», note un brin narquois Souleymane Fofana, un chauve rondouillard qui figure parmi les leaders des 2 064 dozos de Duékoué.

Monday, July 7, 2014

Peillon

Le général Joana, qui commandait à l'époque l'opération Licorne, attendait le feu vert pour mettre en action l'accord de Défense avec la Cote d'Ivoire, signé en 1961. Parce qu'on savait qu'il y avait les exactions au Nord, qu'il fallait quand  même qu'on réussisse à réunifier le pays qui était complètement scindé en deux. Tout était prêt, avec une offensive rapide sur trois axes, et les moyens que nous pouvions déployer, ajoutés au professionalisme de nos unités, auraient rendu la reconquête du Nord très simple. En trente-six heures, et sans beaucoup de casse, c'était terminé. Cette décision politique de soutien au gouvernement légitime de Laurent Gbagbo, pour rétablir la paix, n'est jamais venue.
La France a enteriné cette partition du pays et le général Joana qui nous commandait, a compris que nous n'avions pas la meme conception de notre mission que le pouvoir politique à Paris.

J'ai côtoyé les Forces Nouvelles à l'occasion de négociations sur des questions comme le désarmement, ou le rétablissement d'accès de circulation. A part un ou deux, les autres étaient des hommes incultes, bardés de gri-gri. Ce n'étaient pas des militaires, c'étaient des chefs de bandes. Des gens sans foi ni loi, qui tenaient leur pouvoir par la violence, par la terreur qu'ils faisaient régner dans le Nord du pays,  les populations ont vécu l'enfer au quotidien. Quand j'ai su qu'Abidjan était tombée entre les mains de ces gens-là, je me suis dit: les brigands sont dans la place.