Sunday, February 26, 2012

ABOBO LA GUERRE DE LESLIE VARENNE

Présidentielle 2010 en Côte d’Ivoire : la guerre postélectorale préparée avant le premier tour, par Théophile Kouamouo
Source : Le Nouveau Courrier : Dernière Mise à jour : 26/02/2012 (Auteur : Autre)
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Le livre «Abobo la Guerre» de la journaliste française Leslie Varenne lève un coin du voile sur les préparatifs de la guerre postélectorale, bien avant les élections. Et décrit les accointances avec la France, les Etats-Unis et l’ONU, tenus pour coresponsables d’un bain de sang prévisible. La formule, que l’AFP reproduit à longueur de dépêches pour s’assurer que son postulat rentre au forceps dans toutes les têtes, est connue. La guerre postélectorale ivoirienne serait «née du refus de Laurent Gbagbo de reconnaître sa défaite à la présidentielle de novembre 2010». L’on savait déjà que les mouvements spéculatifs opérés dès juillet 2010 par Armajaro, firme proche d’Alassane Ouattara et qui avait déjà acheté en masse du cacao ivoirien avant la guerre du 19 septembre 2002, en misant selon toute évidence sur une hausse des cours liée au conflit, tendaient à prouver que cette guerre était minutieusement préparée avant le scrutin. Et aurait eu lieu de toute façon, quels que soient les résultats et les éventuels différends entre les candidats. Le livre «Abobo la Guerre – Côte d’Ivoire, terrain de jeu de la France et de l’ONU» de la journaliste française Leslie Varenne confirme magistralement cette thèse.
Leslie Varenne fait état de contacts entre la France officielle et Ibrahim Coulibaly dit «IB» avant le scrutin. «Selon ses proches, avant le premier tour de l’élection, IB a rencontré François Hurtut, l’ambassadeur de la France à Accra, au Ghana. Au menu de la discussion informelle, les projets d’IB et la possibilité d’une aide de la France» (p. 108). La journaliste avait écrit, quelques pages avant (p. 97) : «Je connaîtrais plus tard l’histoire de ce groupe qui combat sous le sigle de Commando invisible, en rencontrant certains de ses éléments. Comme les barons du parti du président Bédié, ce commando était convaincu que l’élection tournerait mal. Avant le premier tour, il a réussi à faire entrer dans Anyama deux caisses de petites kalachnikov, 500 treillis et quelques appareils de communication radio. Le matériel était bien caché, mais Philippe Mangou a eu vent de l’affaire (…) Plusieurs membres de ce groupe ont constitué de petites équipes disséminées dans certains quartiers d’Abidjan ; c’est à Abobo qu’ils sont le plus nombreux». Leslie Varenne évoque des connexions, avant le second tour du scrutin, entre IB et des dignitaires du PDCI, persuadés qu’il faut un bain de sang pour dresser les alliés internationaux du RHDP contre Gbagbo…
La France et l’ONUCI, impliquées dans l’attaque de l’émetteur d’Abobo et d’Anonkoua Kouté
Leslie Varenne explique que la France était impliquée dans l’opération de destruction de l’émetteur de la RTI à Abobo, au cours de laquelle des civils ont été brûlés vifs, et cite les noms des deux hommes chargés d’assurer la liaison entre le «Commando invisible» et le régime Ouattara. Le général Abdoulaye Coulibaly et le colonel Adama Dosso, assassiné le 12 mars 2011 (p.100). Des révélations qui mettent à mal la thèse de l’indépendance tactique du «commando invisible», laquelle thèse est destinée à créer un bouclier d’impunité autour d’Alassane Ouattara. Les compagnons d’IB vont jusqu’à affirmer que l’ONUCI a couvert l’attaque du village d’Anonkoua Kouté, même s’ils se couvrent en présentant comme des combats ce qui n’était rien d’autre qu’une virée meurtrière nocturne visant à obliger les Ebrié à quitter leurs villages…
Le livre «Abobo la Guerre» est impitoyable pour la France, les Etats-Unis et l’ONU. Et montre que l’option guerrière a été très vite choisie par les grandes puissances pour imposer Ouattara, en dépit des négociations de façade. «Selon plusieurs sources au sein de l’Onuci, entre la fin du mois de décembre 2010 et le début de janvier 2011, une cinquantaine d’instructeurs français et un général américain se sont réunis à l’hôtel Sebroko. Le général arrive dans une grosse berline aux vitres teintées, ornée du drapeau américain, accompagné de l’ambassadeur des Etats-Unis, Philip Carter III. Dans le QG de l’ONU, Français et Américains planifient une opération top secret portant le nom de code «Restore Peace and Democracy» (…) Le but de l’opération est d’aider Alassane Ouattara à éjecter militairement Laurent Gbagbo de son fauteuil présidentiel. Le 20 janvier 2011, les premiers bruits de bottes résonnent en Côte d’Ivoire. Par ailleurs, selon La Lettre du Continent, l’Onuci construit une grande plate-forme logistique et militaire. Des vols quotidiens effectuent des rotations entre Entebbe, en Ouganda, base des opérations de l’Onu en Afrique, et la capitale des rebelles de Guillaume Soro. (…) De vastes mouvements de troupes s’opèrent à Bouaké, la force Licorne est de retour dans cette ville. Des instructeurs français sont également présents dans le fief des rebelles. Le président Ouattara ne cache pas ces préparatifs militaires (…) Alassane Ouattara reconnaît implicitement violer l’embargo sur les armes. Et l’ONU, présente à Bouaké, ne peut l’ignorer !»
Michel Gueu et un officier français présents à l’Ouest durant la période des massacres
Leslie Varenne révèle que de nombreux jeunes Ivoiriens du Nord ont refusé de s’enrôler dans le cadre de la bataille d’Abidjan. Et explique pourquoi l’armée de «bric et de broc» formée avec le soutien de la France – le général Emmanuel Beth, ancien patron de Licorne et ambassadeur de la France au Burkina Faso, est nommément cité – ne pouvait que commettre des massacres sur son chemin. «Pour se constituer une force, Alassane Ouattara et Guillaume Soro sont donc obligés de ratisser large. La création de cette armée est un autre point crucial de l’histoire de la Côte d’Ivoire. Elle aura des conséquences incalculables sur la suite des événements et sur l’avenir du pays. Selon un militaire ivoirien, «ceux qui se sont enrôlés sont des Maliens, des Sénégalais, des Nigérians et des Burkinabés de Côte d’Ivoire» (…) La grande majorité sont des gamins désoeuvrés, d’autres ont des petits métiers, cordonniers, tailleurs, etc. Les 20% restants sont des militaires burkinabés ou sénégalais prêtés par leurs gouvernements respectifs. (…) Ces nouveaux soldats ont un point commun : ils sont tous nordistes et musulmans (…) C’est à ce contingent de bric et de broc, à une armée ethnique, que la France, les Etats-Unis et l’ONU vont apporter leur concours pour reprendre le pays aux forces de Laurent Gbagbo (…) Lancer une armée ethnique à l’assaut d’une poudrière ethnique est un acte inconséquent et irresponsable. Et l’ONU savait, l’ONU était présente et l’ONU n’a rien fait».
Dans ce livre, une autre révélation fait réfléchir. Alors que l’on attribue toujours les massacres de Duékoué à d’incontrôlables règlements de comptes ethniques à dissocier des FRCI, nous apprenons qu’un homme-clé du dispositif de «la République du Golf» contrôlait bel et bien la situation à l’Ouest. Le 28 mars 2011, il est, selon ses propres dires, à Bloléquin, à une très courte distance de Duékoué, en compagnie de la Minul (Mission des Nations unies au Liberia), et d’un lieutenant-colonel de l’armée française commandant la mission. C’est le lendemain que débutent les massacres épouvantables qui ont lieu à Duékoué mais également dans d’autres villes de l’Ouest, dont Bloléquin. Cet homme-clé de la République du Golf, c’est le général Michel Gueu.
Théophile Kouamouo

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